L’inconnu qui devint «Le Dude»
Je profiterai de ce blog pour partager sur divers sujets, dont certaines «sueurs froides» créatives. C’est-à-dire, quand une œuvre dérape et que j’essaie de la réchapper… Quand je me mets à prier pour que tout se remette en place sur le papier!
Ce que je souhaite le plus éviter dans un portrait est évidemment lorsque la personne dessinée ne se ressemble pas. (Ou pire : quand elle se ressemble et qu’un coup de crayon mal placé la défigure.) Bref, quand il lui manque le petit effet «wow!» qui définit son essence et ses caractéristiques particulières. Je travaille fort à cerner ces aspects. Cela signifie parfois passer trois heures sur un détail qui ne mesure que quelques millimètres.
Depuis le début de l’année, (soit quelques mois après que j’ai pu réaliser une commande qui m’a amenée à changer l’envergure de mes œuvres), j’ai commencé à dessiner des «scènes» plutôt que des portraits rapprochés. Cependant, je continue toujours à travailler sur mon format de papier préféré : 11 x 14 po, ou 11 x 17 po. Cela signifie qu’un visage, au lieu de mesurer 10 po, en mesure 3 ou parfois moins. Il y a une sérieuse adaptation à faire car chaque trait de crayon devient important. Un trait ne devient plus un cil, mais parfois un œil au complet.
Et mon «Dude», comme vous le verrez plus bas, sait ce que représente un trait de crayon.
* * *
Récit de sueurs froides… En 5 photos.
Je prends des photos pendant le processus, surtout s’il est ardu. Si un visage m’apparait tout aussi réussi dans un écran de cellulaire que sur papier, c’est qu’il est terminé.
- Photo 1 : Dans un dessin, je commence toujours par le visage, quitte à recommencer de zéro si la ressemblance n’est pas atteinte. Ici, l’image de référence que j’ai choisie est plutôt petite mais je n’arrive pas à en trouver une meilleure… Alors je reste perplexe sur mon Dude qui ne ressemble pas tant à Jeff Bridges. Je range le dessin dans ma bibliothèque et je l’observe.
- Photo 2 : Le lendemain, voilà le Dude avec un œil bridé. Il a l’air d’un grand sage sur sa montagne. Ce n’est pas le regard du Dude! Diantre!
- Photo 3 : Deux jours après, j’en viens à croire que le problème vient de la longueur de l’œil du Dude, que je retrace très subtilement en lui dessinant même une pupille. Son visage a maintenant l’air étroit et concentré en un seul plan vers l’avant. Certaines personnes ont ces yeux qui semblent déposés totalement à plat sur un visage. Mais ce n’est pas le regard du Dude! Arrgghh…
- Photo 4 : J’empire mon Dude bien comme il faut. Il devient un inconnu troublé, sans charisme ou expression. Je rage contre mon dessin. Je le cache dans la bibliothèque mais je viens quand même le regarder aux trois heures… Mais où es-tu, Dude, où es-tu?
- Photo 5 : Un bon soir, j’efface la moitié de son visage au complet et je le recommence. J’efface le sourcil, l’œil, une partie de la moustache… Je lui rajoute un peu de cheveux car il avait trop de front. Oh… Je corrige sa bouche et son nez… Oh, on se rapproche… Et je comprends que son œil ne doit être qu’une zone un peu floue, car il en est de même dans la photo.
Et surtout : je réalise que son œil n’a pas le bon angle. En changeant l’angle d’un trait de crayon de 16° à 20°, cet inconnu devient Jeff Bridges.
Merveilleux.
Bien sûr, cela n’est pas tout à fait comme la photo de référence. Je ne souhaite pas me lancer dans l’hyperréalisme car j’aime bien trop voir les coups de crayon dans un dessin. Ce visage saisit cependant «l’essence» du Dude et c’était là mon but.
Je n’y touche plus désormais. Il restera bien rangé.
J’ai bien trop peur de me surprendre à le (re)défigurer.